Cœur sacré

Eloge de la souffrance

Étymologiquement, souffrance signifie « supporter » ou « porter sous ».
La souffrance, c’est spirituellement « porter sa croix ».

Dans l’histoire spirituelle de l’Humanité, deux visions de la souffrance ont été présentées

Silhouette du Bouddha et bodhi au couché de soleil

Celle de l’Orient

Elle culmina avec le Bouddha Gautama.

Croix du Christ au mont Golgotha, ciel nuageux

Celle de l’Occident

Elle se révéla avec l’Incarnation du Christ.

Pour l’Orient, la souffrance est vue comme une résultante de l’ignorance, conduisant à un désir avide de plaisir et de jouissance de la vie. Comme tout est impermanence et changement, dès que l’on s’attache à quelque chose ou à quelqu’un, on finit tôt ou tard par le perdre et l’on en souffre.

La solution est la compréhension du processus conduisant à la souffrance et le détachement de tout et de tous.

Le raisonnement est correct, mais il pousse l’individu à se retirer du monde afin de ne pas y être tenté. Plutôt que d’être confronté à la souffrance, « l’Oriental » préférera vivre hors du monde.

Ceci est compréhensible, puisque c’est le fait même d’être incarné et de vivre qui produit la souffrance. Ainsi, moins on vit l’incarnation et moins on est confronté à la souffrance : d’où l’ascétisme.

En caricaturant, le point de vue oriental sur la souffrance est : plus je vis hors du monde, et moins je risque de m’y attacher et d’en souffrir. En réalité, l’Oriental fuit la souffrance.

Pour l’Occident, la souffrance est vue comme une résultante de la Chute, mais aussi comme un moyen de rédemption. En effet, le christianisme est la seule religion qui accorde un aspect positif à la souffrance, puisque Dieu le Fils l’a vécue et transcendée.

Sur le sentier christique, la souffrance s’allie à la connaissance pour apporter la libération.

Pour l’Occidental christique, il n’y a pas le refus de la souffrance ni la fuite hors du monde mais, au contraire, acceptation de son rôle purificateur. La souffrance est un défi qui permet la transcendance, un tremplin vers la Lumière.

L’aspirant christique doit donc se représenter la souffrance comme un moyen d’évoluer. Dans ce monde non encore rédempté, la souffrance est inéluctable.

Comme le pensait le Bouddha Gautama, elle est bien le résultat de l’ignorance (nous disons parfois : « le seul péché, c’est l’ignorance ») ; cependant, il ne faut pas la fuir, mais l’affronter.

De nos jours, l’être humain est suffisamment fort intérieurement (pensée individuelle et possibilité d’être conscient de lui-même), pour pouvoir faire face à la souffrance et en comprendre le sens. En effet, il serait vain d’affronter la souffrance sans la connaître : car la souffrance et purificatrice, mais la connaissance est libératrice. Ce qui fait le plus souffrir est bien souvent le fait de ne pas comprendre pourquoi l’on souffre.

Cette signification de la souffrance nous est offerte par le Christ Lui-même à travers Sa crucifixion : toute souffrance affrontée en pleine conscience mène à une renaissance, à une résurrection. « En Christ, je meurs, et par le Saint-Esprit je ressuscite. »

Ainsi, l’aspirant christique, imitant le Christ et associant la souffrance à la connaissance, peut se transcender (étymologiquement : « passer par-dessus » son ego).

La souffrance, dans sa conception christique, mène à la responsabilité : l’acceptation de porter sa croix. Ceci revient à transformer le mal en bien, ou son karma en force solaire créatrice.

Malheureusement, l’individu – même occidental – a davantage tendance à se comporter d’une manière orientale face à la souffrance : il la fuit et fait preuve de lâcheté.

Il existe ici un risque : celui de sombrer dans la torpeur

La souffrance est vécue au niveau de la conscience de veille. Lorsque l’on veut fuir la souffrance, on s’enfonce dans la conscience de rêve. La souffrance est donc un bon symptôme : elle souligne l’être encore vivant, malgré une pensée matérialiste. Elle veut le réveiller.

Nous sommes d’accord avec le Bouddha Gautama pour dire que tout être incarné souffre. Mais si l’individu descend sa conscience (l’éteint, en quelque sorte), il peut passer sous le seuil de la souffrance – grâce à la conscience de rêve – et vivre dans la torpeur.

À force de lâcheté, de conformisme, de conditionnements et d’inertie, une personne (qui n’est plus personne) peut arriver à franchir ce dangereux seuil de la torpeur (un anti-seuil, en somme), et ne plus sentir la souffrance existentielle. À ce stade infra humain (sous le seuil de l’humain : un état de conscience de rêve permanent), cette personne affirmera se sentir toujours bien et baignera dans un optimisme caricatural et grotesque, ou dans une neutralité robotique. C’est au prix d’une déshumanisation totale et d’une perte absolue de dignité, que cette personne sera heureuse de vivre une existence infra humaine. Vive le bonheur sans effort !

Ceci est le résultat extrême d’une fuite de la souffrance à notre époque, où l’individu ne peut évoluer qu’en osant se confronter au mal, grâce à sa foi et sa force intérieure.

Au lieu de descendre sa conscience sous le seuil de la souffrance, il est capital de l’élever au-dessus de ce seuil (niveau de l’Imagination spirituelle). Cela requiert beaucoup d’efforts, mais au-delà du seuil de la souffrance et de l’égoïsme se trouve un autre seuil – spirituel celui-là – qui est l’accès à la sphère solaire, par la rencontre avec le « gardien du seuil ».

Aucun individu n’était capable de franchir ce seuil, seul et en pleine conscience, avant la Venue du Christ. Pourquoi ? Parce qu’il faut transcender la souffrance pour y accéder. La spiritualité hindoue s’interdisait donc cet exploit spirituel.

Grâce à la Venue du Christ, l’être humain s’est suffisamment renforcé pour affronter ses peurs et triompher de sa souffrance existentielle : sa récompense est le franchissement du second seuil spirituel : l’entrée dans le vrai Monde spirituel, l’accès à la sphère solaire (troisième Initiation christique de « l’Eveil »).

Il ne faudrait pas confondre la souffrance existentielle, qui induit la nécessité d’assumer la responsabilité de son karma afin de se rédempter : « Que celui qui veut me suivre renonce à lui-même et porte sa croix »*, avec les souffrances que l’on se cause pour se punir ou se dénigrer, et qui induisent quant à elles culpabilité et irresponsabilité (victimite).

*Luc, 9 :23-26

Il serait tentant également de se dire : « Si c’est mon ego qui souffre, ça lui fait les pieds ! »

Qui souffre dans cette histoire ? Même si la souffrance est le résultat de la Chute et de la croyance en l’ego, n’est-ce pas le « Je » qui souffre de ne pas pouvoir s’exprimer normalement ? De ne pas pouvoir évoluer ?

Ne peut-on en déduire qu’il y aurait alors deux sortes de souffrances : celle passive et enténébrante de l’ego jamais satisfait dans sa quête effrénée des désirs égoïstes, et celle purificatrice et rédemptrice du « Je », dans sa quête de liberté et d’évolution spirituelle.

Dans le premier cas, l’individu subit la souffrance et l’on comprend qu’il ait envie qu’elle s’arrête. Cela peut le conduire à l’inertie et à la torpeur infra humaine (il est comme anesthésié).

Dans le second cas, l’individu maîtrise sa souffrance et la transcende, afin de se purifier et de s’élever spirituellement.

Comment attirer la souffrance de manière certaine ?

Nous terminerons cet article par quelques précisions sur ce qui conduit à la souffrance avec une dose d’humour…

Nous avons souvent remarqué, et encore davantage ces derniers temps, que des aspirants (certains prétendant même suivre la voie christique !), se conduisent comme s’ils voulaient à tout prix vivre dans la souffrance. Serait-ce une nouvelle race de masochistes ?

Comment s’y prennent-ils ? Comment attirer la souffrance de manière certaine ?

Les désirs

En étant sans cesse en quête de désirs égoïstes comme la matrice nous y incite constamment, faisant de nous des sortes d’adolescents attardés vivant dans le sentiment et les émotions, et donnant régulièrement à manger au Lion des passions de notre corps astral. Les désirs égoïstes (sexualité exacerbée, sensualité plus ou moins dépravée, fanatisme vis-à-vis de son corps physique, si beau, gourmandise au sens spirituel, à savoir exagération de tous les sens, quête incessante d’émotions et sensations, etc.) constituent une prison sans barreau physique, qui génèrent la souffrance à coup sûr, comme le Bouddha Gautama le démontra : « Les désirs génèrent l’attachement au corps physique et créent de la souffrance. Pour se débarrasser de la souffrance et conquérir la liberté, il faut se détacher de ses désirs égoïstes. »

L’inertie

En trempant régulièrement dans l’inertie (voire pire dans l’acédie, c’est-à-dire le refus d’agir ce que l’on sait être notre Bien), par l’intermédiaire de la paresse et de la lâcheté. L’inertie apporte de la souffrance par le simple fait du refus de bouger (l’être humain est fait pour bouger et agir, et non pour demeurer avachi devant un écran comme les futurs zombies !).

La solution N°1

La maîtrise des désirs égoïstes : ne pas devenir un ascète, mais point trop n’en faut, à moins d’aimer la souffrance !

La solution N°2

Agir son Bien pour jouer son rôle au sein de l’humanité, donner, aimer.

La souffrance est un agent du karma Elle nous réveille, tire la sonnette d’alarme, nous incitant à regarder en nous-mêmes, afin de nous corriger intérieurement. Elle aide l’être humain à se rééquilibrer, avant qu’il ne soit trop tard (c’est-à-dire avant qu’il ne sombre dans l’abîme, attaché à l’ancien monde et l’ancienne Terre).

Allez, on se réveille ! Merci à la souffrance !

Pierre LASSALLE

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